En route pour l'écriture inclusive - 4e partie - Et la science dans tout ça




4e Partie – Et la science dans tout ça

La langue peut elle avoir un impact sur nos pensées ? Sur notre représentation du monde. Il est d’usage de penser que plus le vocabulaire est étendu, diversifié ; plus notre intelligence augmente. En majorant la gamme des nuances, nous pouvons accéder à une interprétation plus fine de notre environnement. Y aurait t’il un impact entre le genre d’une langue avec son écriture, et les représentions que nous avons des rapports hommes-femmes dans la société. 

 

Avant d’aller plus loin, distinguons trois types de langues [1]

- Les langues agenrées où le genre n’existe pas dans la grammaire, les noms et les adjectifs spécifiques permettent de spécifier le genre des personnes (finnois, turc, chinois) 

- Les langues genrées où il n’y a pas d’accords grammaticaux sinon via les pronoms personnels pour les individus (anglais) 

- Les langues genrées en grammaire : les adjectifs s’accordent, le genre est omniprésent (français, espagnol, allemand)



La langue est elle sexiste ?

« Personne n’est dépositaire de la langue française il est donc difficile de la qualifier de sexiste »[2]
  

Non la langue n’est pas sexiste – Parlons genre et métiers

Il y a un fait linguistique, la langue s’est construite par l’usage. La langue écrite est la transcription de la langue orale, en conséquence, il paraît difficile de la taxer de sexiste. C’est l’utilisation qu’on en fait qui pourrait l’être. Le masculin de la langue n’est pas le masculin du monde sensible [3]

Qu’en est-il du genre donné aux noms. Celui-ci dépend de la langue. La mort ou la lune sont féminines en français, masculine en allemand. Les langues ne découpent pas la réalité de la même manière. Le genre des mots n’est qu’une variable parmi d’autres et il n’a certainement pas une valeur morale, mais grammaticale. Il serait la conséquence du hasard. Toute les langues catégorisent d’une manière ou d’une autre ce qui signifie qu’il semble exister une nécessité cognitive à ne pas mettre tous les mots sur le même plan. « Le » livre n’est pas plus mâle que « la » page est femelle. [4] Szlamowicz ajoute que « La catégorisation grammaticale ne dit pas la vérité ontologique ou phénoménologique du monde même si elle paraît s’appuyer sur les propriétés objectives des objets ».

Concernant certains métiers, il en va de même. Historiquement occupé par des hommes ou des femmes, il n’est pas anormal que ceux-ci soient genrés. De là à dire que cela pourrait avoir une influence sur les vocations, c’est aller un peu loin en besogne. Prenons l’anglais par exemple qui ne genre pas pareil ses noms de métiers, s’il y avait une influence du pronom sur le métier, on trouverait probablement une différence dans la disposition par métier en fonction des pays ce qui n’est pas le cas. Le sexisme est dans les lois, les comportements, les droits et les devoirs implicites, les relations de pouvoir, pas dans l’accord des adjectifs.[5]

On pourrait aussi dire que le masculin en français, constitue le genre neutre et qu’il est en conséquence le commun, le banal, une sorte de non personne. Il n ‘y aurait pas lieu de s’offusquer car la généralité, la spécificité serait le féminin. La revendication selon laquelle le masculin générique serait une injustice ne tient pas face à l’existence des formes impersonnelles : il pleut, il mouille, est-ce la fête à la grenouille ?

 

Bien sûr qu’elle est sexiste cette langue française...

La langue française n’était pas sexiste mais elle le serait devenue au XVII siècle, aidée par l’académie française hostile aux femmes. La 3e partie de cette série de billets a évoqué l’accord du masculin sur le féminin. C’est au XVII siècle que l’on doit « le genre masculin est plus noble que le genre féminin ». Mais ça n’est pas la seule, le genre masculin a une suprématie dans la langue puisque le français s’organise beaucoup autour du ce genre grammatical. Le féminin est présent dans la construction des adverbe en -ment « certainement ». De fait, on pourrait arguer que le masculin occupe une place centrale dans la langue telle est bien la raison pour laquelle il l’emporte. Je vous renvoie vers la 3eme partie.



Langue et pensée


« La langue détermine elle notre pensée ? »[6]

Comme le dit Szlamowicz : « Penser c’est mettre en forme langagière des contenus affectifs, perceptifs et intellectuels. La langue nous permet donc de donner une forme à notre pensée. Elle est le cadre même dans lequel nous vivons. Pour autant l’utilisation de mots se fait en général de manière automatique sans engendrer des décisions relevant de la rationalité ni de l’adhésion morale ou représentationnelle. »

Les scientifiques se sont penchés sur cette question et ont crée toute une série d’expériences pour évaluer ces processus de représentation. Ils pourraient bien faire pencher la balance pour l’utilisation de l’écriture inclusive sans même statuer sur la question de la misogynie de la langue.

 

Les expériences de représentation

Note : Avant de démarrer cette partie, je vous invite à rejoindre la page de bunker D extrêmement complète sur la question des représentations en langue inclusive. https://www.bunkerd.fr/ecriture-inclusive/

 

Voici une petite énigme pour commencer
 

On est samedi après-midi. Un père conduit son fils à un anniversaire. Alors qu’il consulte son téléphone, il manque de percuter un animal et emboutit la voiture contre un arbre. Le père meurt sur le coup, le fils est gravement blessé et amené aux urgences. Là, le médecin censé l’opérer réagit : « Je ne peux pas opérer cet enfant, c’est mon fils. 

Vous aurez probablement compris que le médecin est une femme.



L’hypothèse de Sapir-Whorf

Comme je l’évoquais en introduction, Sapir-Whorf soutient que la pensée pourrait être limitée par notre capacité à verbaliser, donc par le langage, et la quantité de vocabulaire disponible. On pourrait arguer que c’est discutable dans la mesure où parfois nous cherchons à exprimer des idées et que nous ne parvenons pas à trouver les mots. Il y a toutefois certains arguments qui vont dans le sens d’une validation au moins partielle de cette théorie qui a maintenant un peu d’âge.

Nous savons par exemple que « l’emploi d’un langage qui différencie grammaticalement les hommes et les femmes (comme l’anglais mais pas le chinois) accélère le traitement des questions liées au genre des individus »[7]. De même l’indice dit Global Gender Gap c’est à dire l’indice de différences dans l’égalité des genres est significativement corrélé au fait que la langue soit genrée. [8]

Pascal Gygax sur le site cortecs [9] dit : « Nous avons montré (avec d’autres équipes également) que notre cerveau résout l’ambiguïté sémantique du masculin au dépend des femmes et au profit des hommes, systématiquement et indépendamment du contrôle que nous essayons parfois de mettre en place. Ceci veut simplement dire que le sens « masculin = homme » est toujours activé, et que ne pouvons pas empêcher cette activation, même si nous essayons d’activer consciemment les sens « masculin = mixte ou neutre ». Il semble que la lecture d’un terme masculin inclusif ne déclenche par la visibilisation féminine [10][11], .

On pourra également citer Stahlberg « D’un point de vue psychologique, cela implique que les stéréotypes de genre peuvent être renforcés ou réduits par l’usage d’un langage sexiste ou d’un langage équitable quant aux genres ».[12]



L’épicène pas si efficace ?

Par ailleurs, il n’est pas clairement démontré que l’épicène est la solution parfaite pour changer les représentations. Il existe un risque : rester avec les mêmes stéréotypes de genre. Plusieurs études ont en effet montrées que le masculin comme genre neutre n’est dans la pratique pas perçu comme genre si neutre, les termes épicènes génèrent des perceptions non équitables.[13]

Pour autant dans une étude menée par Harris Interactive pour mot-clé en 2017[14], l’utilisation de formulations épicène semble à chaque coup augmenter la présence de femmes lorsqu’on demande de citer des personnalités sportives ou culturelles. Par exemple, pour la formulation, « citez deux champions olympiques » 17% de femmes sont citées, cela monte à 20% « citez deux champions ou championnes » et 33% « citez deux personnes ayant été championne olympique ». Dans ce cadre, l’épicénie semble performer.



Les études allant dans le sens de l’écriture inclusive

Brauer et coll. ont demandé à 101 personnes de répondre à une des deux questions suivantes : « Sans tenir compte de vos opinions politiques, citez tous les candidats de droite que vous verriez au poste de Premier ministre » (condition générique masculin) ou « Sans tenir compte de vos opinions politiques, citez tous les candidats/candidates de droite que vous verriez au poste de Premier ministre » (condition générique neutre). Les personnes citent plus de femmes lors de la deuxième condition (40 % contre 15 %)[15]

Pour ce qui est de l’impact direct sur les femmes « quand les termes génériques affectent l’intérêt des femmes pour une profession, leur volonté à candidater pour un certain poste, ou la compétence professionnelle attribuée aux femmes, la langue peut devenir un facteur important dans le développement des plans et carrières professionnels des femmes. »[16]

Ainsi, la visibilisation des femmes dans des textes augmente et améliore la représentation et les performances que l’on pourrait avoir dans les métiers. [17][18]



En conclusion, il existe clairement des arguments pour dire que la formulation va entrainer une modification de nos représentations et idées. L’exemple de la Suède pourrait être à suivre en ce qui concerne la disposition prise pour le pronom « hen ». Une nouveau pronom, épicène par essence avec le bon côté qu’il est un néologisme.


Adelphiquement vôtres...


1er Partie – Introduction.

2e Partie – De quoi parle t’on ?

3e Partie – Un brin d’histoire.

4e Partie – Et la science dans tout ça ?

5e Partie – Un péril mortel ?

6e Partie – Pourquoi c’est un important ?

7e Partie – La Franc-Maçonnerie pas en reste.

8e Partie – En pratique comment on fait - Conclusion. 






[1] https://www.bunkerd.fr/ecriture-inclusive/
[2] Le féminin le masculin dans la langue écrit sous la direction de Danielle Manesse et Gilles Siouffi Colombet p. 32
[3] Le féminin le masculin dans la langue écrit sous la direction de Danielle Manesse et Gilles Siouffi p. 38
[4] Le sexe et la langue. Jean Szlamowicz. p. 49
[5] Le sexe et la langue. Jean Szlamowicz. p.30
[6] Le sexe et la langue. Jean Szlamowicz.
[7] https://www.bunkerd.fr/ecriture-inclusive/
[8] “The Gendering of Language: A Comparison of Gender Equality in Countries with Gendered, Natural Gender, and Genderless Languages”, Jennifer L. Prewitt-Freilino, T. Andrew Caswell et Emmi K. Laakso, Sex Roles, 2012
[9] https://cortecs.org/politique-societe/un-ministre-peut-il-tomber-enceinte-de-masculiniser-la-langue-francaise-entrevue-avec-pascal-gygax/#Analyse_d%E2%80%99un_texte_critique_sur_l%E2%80%99%C3%A9criture_inclusive
[10] Differential Sensitivity to the Gender of a Person by English and Chinese Speakers. https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10936-010-9164-9
[11] https://cortecs.org/materiel/un-ministre-peut-il-tomber-enceinte-de-masculiniser-la-langue-francaise-entrevue-avec-pascal-gygax/
[12] “Representation of the sexes in language”, Dagmar Stahlberg, Friederike Braun, Lisa Irmen et Sabine Sczesny, Social communication. A volume in the series Frontiers of Social Psychology, 2007
[13]https://www.researchgate.net/publication/256078640_Hen_can_do_it_Effects_of_using_a_gender_neutral_pronoun_in_a_recruitment_situation
[14] https://harris-interactive.fr/opinion_polls/lecriture-inclusive/
[15] Markus Brauer. Un ministre peut-il tomber enceinte ? L’impact du générique masculin sur les représentations mentales. In: L’année psychologique. 2008 vol. 108, n°2. pp. 243-272.
[16] “Representation of the sexes in language”, Dagmar Stahlberg, Friederike Braun, Lisa Irmen et Sabine Sczesny, Social communication. A volume in the series Frontiers of Social Psychology, 2007
[17] “Childrens understanding of sexist language”, Janet S. Hyde, Developmental Psychology, 1984
[18] “Impact de la féminisation lexicale des professions sur l’auto-efficacité des élèves : une remise en cause de l’universalisme masculin ?”, Armand Chatard, Serge Guimont et Delphine Martinot, L’année psychologique, 2005

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