En route pour l'écriture inclusive - 3e partie - Un brin d'histoire







3e Partie – Un brin d’histoire

Je ne suis évidemment pas historien ce qui engendrera probablement quelques inexactitudes. Toutefois, je vais essayer ici de retracer quelques idées fortes de l’évolution historique de la langue pour ce qui nous intéresse, la place des hommes et des femmes dans celle-ci.

Si je synthétise l’ensemble de mes lectures, il nous faut parler au départ du latin et de son utilisation comme constituant de base de notre langue française. Nous verrons par la suite les changements survenus à partir du XVII siècle pour se pencher quelque peu sur l’académie française.


Les origines de la langue française – Le latin.

Le français provient du latin, qui établissait une variété plus importante dans sa définition du sexe et du genre. On retrouvait initialement 4 genres :
- le masculin,
- le féminin,
- le neutre
- le commun.

La différence entre les deux derniers genres exposés était que le neutre de neutrum signifiait « ni l’un ni l’autre » et le commun englobait les trois précédents[1] [2]. Le neutre ayant disparu dans la langue française, il a été réparti dans les deux premiers groupes pour les objets inanimés. Le genre commun est définit comme épicène, englobant mâle et femelle.

Le neutre en latin servait donc à désigner les êtres inanimés (objets, sentiments, qualités) tandis que les êtres animés étaient systématiquement désignés grâce aux genres féminins et masculins. Seuls quelques mots ont survécu en français sous cette forme = les indéfinis « Quelque chose » et « rien », les démonstratifs « ce » « ça » « ceci » « cela » et l’interrogatif « que ». Du coup les noms neutres ont été rangés tantôt côté féminin tantôt côté masculin. Leur sonorité a probablement joué un grand rôle ici.[3]

Aujourd’hui, la distinction entre animés et inanimés s’est maintenue : les inanimés n’ont qu’un mot (la table, un meuble, la lune) parce que le genre qui leur est attaché n’a pas de sens, on dit que pour eux il est arbitraire. Les animés eux ont deux mots chacun, (chien/chienne, paysan paysanne). Le genre a du sens, on dit qu’il est motivé. Pour autant, les animaux chez lesquels nous ne distinguons pas la différence sexuelle sont traités comme des inanimés.[4]


Du 17e au 19 siècle.

Faisons un saut historique, et approchons une période de l’histoire dans laquelle les chamboulements grammaticaux semblent avoir eu lieu. Accord de proximité, disparition de termes et tentative d’uniformisation de la grammaire.

Égalité et équité
En 1607, Charles Maupas énonce « tout nom concernant office d’homme est de genre masculin, tout nom concernant la femme est féminin, de quelques terminaison qu’ils soient ». La loi de répartition bipartite s’applique sans exception. Elle est égalitaire dans les deux genres. Féminin et Masculin sont utilisés de manière équivalente pour les noms de métier par exemple.

Viennot, qui ne cache pas ses positions féministes, note que « la domination des hommes s’est nettement accentuée en occident avec la création des universités (XIIIe siècle) puis avec l’invention de l’imprimerie (XVe Siècle). La première en ne plaçant que des hommes et la seconde en diffusant leurs idées ». C’est plus tard, durant la période qui nous préoccupe ici, que les « infléchissements masculinistes commencent à apparaître ». Le « il » s’impose là ou un pronom neutre aurait mieux convenu vu qu’aucun agent ne fait l’action (le fameux exemple du « ça pleut » ) ainsi que dans les expressions où le sujet est exprimé après le verbe (« faut partir », « vaudrait mieux s’en aller »).


Le masculin est plus noble que le féminin.
C’est en 1651 que Dupleix écrit « parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins quoiqu’ils soient plus proche de leur adjectif. » Beauzée ajoutant un siècle plus tard (1767) « car le mâle est supérieur à la femelle ». L’abbé Bouhours dira dans ses Remarques nouvelles sur la langue françoise écrites en 1675 que « quand les deux genres ſe rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte ». [5] La liste des grammairiens qui se sont succédés avec ces idées serait longue, Claude Favre Vaugelas, Maurice Jacquier, Louis-Nicolas Bescherelle [6]


La règle de proximité
S’appliquait à l’époque une règle nommé accord de proximité. Issue du grec ancien, du latin et retrouvée en français jusqu’au XVIIIe siècle donc, le verbe prenait la marque, d'abord genre et nombre, puis seulement en genre, du substantif le plus proche. Pour faire simple, c’est le dernier terme prononcé ou écrit qui donne ses marques aux termes à accorder. Exemple avec Lafayette « Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre » ou encore « Le chat et la souris sont belles » et non « le chat et la souris sont beaux ». [7]

Certaines catégories de substantif sont plus susceptibles que d’autre de se prêter à l’accord de proximité (p103) Les inanimés s’accordent au neutre pluriel. S’il y a des noms de personnes, l’accord se fait au masculin pluriel.[8]

Cet accord de proximité sera abandonné au XVIIe siècle au profit de la masculinisation du pluriel non sans désaccord quand certains grammairiens semblent plaider pour une grammaire rigide avec accord obligatoire (Malherbe) d’autres plaident la tolérance (Vaugelas). Il en ressort que l’on peut contourner le problème en plaçant les substantifs masculins à la fin pour assurer l’accord. Cela sera très utilisé au XIXe siècle.

Aujourd’hui on parle d’accord de voisinage, on invite l’élève à appliquer l’accord avec le dernier substantif quand les circonstances s’y prêtent. D’autre part, quand les noms sont des inanimés, l’accord peut se faire avec le dernier seulement.6


L’académie française

A la naissance de l’académie française en 1634, commence à apparaître la suppression des noms de métiers, sous l’argument qu’il faut prendre conseil de l’oreille (Guez de Balzac).

Malgré un beau programme en perspective, elle peine quelque peu à faire autorité prescriptive. Le système de règles grammaticales semble subir la difficulté de s’établir en norme. C’est finalement seulement à la révolution française qu’une vraie politique de langue sera mise en place. La réforme de l’orthographe 1901 n’a jamais pu franchir cette sorte de passage à l’acte. L’académie française est discréditée au plan de son action et n’est amenée à jouer qu’un rôle symbolique.

Le passage d’une prescription à une norme n’est pas toujours assuré. Si on parle de la langue on pourra citer en exemple la féminisation des noms de métier en 1982 et les recommandations concernant l’orthographe en 1990.

Par ailleurs la France n’a pas l’exclusive dans l’initiative des actions sur le français (Belgique, Québec). On notera que de nombreuses décisions prises par les instances dotées d’une capacité législative ne voient pas leurs applications réalisées. [9]

Elle pourrait encore être vue comme une police de la langue plutôt portée sur un traditionalisme pachydermique. Par exemple elle n’accepte une femme dans le sacro-saint qu’en 1980 (après 345 ans de résistance). Elle campe depuis 1998 sur les derniers noms de femmes intouchables à ses yeux. (c’est seulement le 28 février 2019 qu’elle se prononce favorablement sur la question). Elle a dénoncé les néologismes canadiens sans pour autant expliquer qu’on en avait pas besoin, la langue française disposant d’équivalents pluri séculaires. Elle s’est élevée à plusieurs reprises contre le doublet. Elle a crié au péril mortel en octobre 2017. Viennot fustige enfin l’absence de spécialistes de la langue au sein de l’académie Française. [10]


En conclusion

En 1999, Lionel Jospin commande le guide de « Femme j’écris ton nom », pour retrouver la liste des métiers féminins présents au XIIIe siècle. La question de l’écriture inclusive fait la une de certains média et l’académie française donne régulièrement des avis. Selon Souffi, les Français ne seraient pas de bons suiveurs de règles. En exemple on peut citer les recommandations sur l’orthographe de 1990 où les graphies modifiées ne revêtent pas de caractères obligationnels (journal officiel 6 déc 1990). L’écriture inclusive peut être considérée comme une manière de faire et qui dit manière de faire dit nécessairement contexte. Mais changer une langue de la sorte, pourrait il avoir de réel effets sur nos représentations ? Je vous invite à lire la suite pour en apprendre plus sur l’impact de l’écriture et ce qu’en dit la recherche.


Adelphiquement vôtres...


1er Partie – Introduction.

2e Partie – De quoi parle t’on ?

3e Partie – Un brin d’histoire.

4e Partie – Et la science dans tout ça ?

5e Partie – Un péril mortel ?

6e Partie – Pourquoi c’est un important ?

7e Partie – La Franc-Maçonnerie pas en reste.

8e Partie – En pratique comment on fait - Conclusion.
 
 
[1] Le féminin le masculin dans la langue écrit sous la direction de Danielle Manesse et Gilles Siouffi Colombet p. 61
[2]https://fr.wikipedia.org/wiki/Langage_%C3%A9pic%C3%A8ne#:~:text=Un%20article%20de%20Wikip%C3%A9dia%2C%20l,le%20langage%20ou%20l'%C3%A9criture.
[3] Le langage Inclusif : Pourquoi, Comment Eliane Viennot p.16
[4] Le langage Inclusif : Pourquoi, Comment Eliane Viennot. P.17
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Genre_grammatical
[6] https://www.bunkerd.fr/ecriture-inclusive/
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Genre_grammatical
[8] Le féminin le masculin dans la langue écrit sous la direction de Danielle Manesse et Gilles Siouffi Colombet p. 103-105
[9] Le féminin le masculin dans la langue écrit sous la direction de Danielle Manesse et Gilles Siouffi Colombet p. 15-34
[10] Le langage Inclusif : Pourquoi, Comment Eliane Viennot. p.66

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