En route pour l'écriture inclusive - 5e partie - Un péril mortel ?




5e Partie – Un péril mortel ? 

 

Le jeudi 26 octobre 2017, l’Académie Française déclare sur l’écriture inclusive : « Plus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures. »

Le ton est donné sans équivoque, les gardiens (je ne peux pas dire gardienne) ne voient pas d’un bon œil ce changement. Dans ce billet, je vais tenter de recenser les points négatifs que pourrait avoir un changement de paradigme. Tournons nous maintenant vers les arguments plutôt en défaveur de l’implémentation et de la généralisation de l’écriture inclusive. Nous verrons dans la 6e partie une réponse à la plupart des critiques énoncées ici.

 

L’écrit et la lecture.

L’écrit existe pour plusieurs raisons. Je ne compte pas revenir sur celles-ci mais prendre un petit temps pour parler de la lecture. Lire est un phénomène automatique. L’introduction de l’écriture inclusive demande de renoncer à certains automatismes donc de se mettre dans une position d’observateurs pour interpréter des signes du nouveau. Ainsi elle transforme et perturbe les mécanismes habituels de la langue[1]. L’introduction d’une sémiologie spécifique (par exemple le point médian, les ponctuations) peut générer des troubles de la linéarité. Ceux-ci peuvent faire obstacle à l’apprentissage de la lecture. Si on se déplace sur le terrain de l’écriture au sens pratique, on pourra se heurter à la difficulté ou lourdeur d’utiliser le point médian sur un clavier.

Pour maîtriser l’écriture inclusive, il faut déjà savoir lire. Comment alors procéder au moment où il devient déjà difficile pour les jeunes d’apprendre la lecture. Un texte écrit en langage inclusif est un texte qui suppose des manières d’écrire, d’orthographier et de lire selon des règles différentes [2]

L’apprentissage scolaire c’est apprendre à lire et apprendre à écrire. L’écriture inclusive ajoute un surpoids de lettre pour visibiliser les femmes. Or, ces ajustements ne s’appliquent qu’aux humains féminins. Pas aux animaux ni aux choses. Le coût cognitif engendré est t’il nécessaire. Le combat féministe le mérite t’il ? La lutte ne devrait-elle pas se concentrer sur d’autres aspects plus pratiques ?

L’illettrisme, fléau touchant 15% de 18-65 ans, pourrait grimper avec ces ajustements.[3] Les dyslexiques et malvoyants pourraient tomber dans le même panier avec de vraies difficultés pour la reconnaissance de ces nouveaux ajustements.

 

De l’écrit vers l’oral.

L’écriture inclusive va créer une désunion entre l’écrit et l’oral. Certains auteurs [4] [5] s’élèvent fortement contre ce constat : un sacrifice de l’oralisation d’une langue. Imaginez la difficulté rencontrée par des personnes lors de la lecture d’un texte à voix haute.

Certaines lettres ne transcrivent aucun son. Prenons l’exemple du point médian, comment le prononcer. Que dire lors de la lecture de : agriculteur·trice, auteur·trice. On pourrait se demander comment un discours pourrait être lu avec cette adaptation. La langue est un outil de communication, on ne peut pas séparer l’écrit de l’oral car ils entretiennent une relation de transcription et d’interaction sociale.

 

Le point de vue social et politique

Quelques auteurs appel aux complots politiques et journaleux. Je ne peux évidemment pas passer outre ces questions de société même si sur la forme, j’en conviens, je ne suis plutôt pas d’accord.

Jean Szlamowicz mène une fronde dans son livre cité plus haut contre l’écriture inclusive. Il se positionne sur le plan politique. Selon lui, « croire qu’en ajoutant des « e » à la fin des mots, la condition féminine s’améliorera » c’est se situer à côté du problème. Il ira même plus loin en écrivant textuellement « qu’il semble nécessaire de remettre à leur place ces militants auto satisfaits qui cherchent à imposer leurs raccourcis intellectuels à toute la société » (p18). Il faudrait plutôt se battre du côté du statut social plutôt que sur un détail qui n’a rien à voir avec une domination pseudo-masculine. Rebelote plus loin dans son ouvrage où l’on pourra lire page 97 « Il s’agit d’une bande de militants de la bien pensance qui pense qu’on pourrait atteindre un niveau de moralité supérieur si l’on modifiait sa façon de parler. Le manuel de l’EI étant leur livre rouge »

Ainsi, les partisans pour l’écriture inclusive passent pour des militant·es avant tout politiques aidé·es par les médias plutôt partisans de ce genre de lutte. En se faisant passer pour des victimes, il est facile ensuite de trouver des exemples choisis pour faire pencher la balancer et soutenir sa thèse. L’idéalisme porté ici étant d’une part valorisant puisque moralement plus acceptable, permettant aux partisans de se voir affubler d’une position noble, semble largement s’écarter de la linguistique de la langue qui a ses règles de fonctionnement au delà des conceptions sociales.

L’académie française amène d’autres arguments. Elle argue qu’avec des changements divers, les promesses de francophonie universelle voleront en éclats. Elles seront anéanties si la langue française s’empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d’autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète.

 

Déterminisme linguistique pas si sûr

Notre comportement d’être humain, nos décisions et positions sont elles sous la dépendance ou bien influencées par l’écriture. Le 4 octobre 2017, dans un article intitulé « L’écriture inclusive, ça marchera jamais (et tant mieux)», Peggy Sastre, s’inspirant de la thèse de Steven Pinker, écrit : « Il faut en finir avec le déterminisme linguistique. Le langage n’est pas une baguette magique capable de modeler la société à sa guise. […] Ce qui est potentiellement grave, c’est le mythe culturaliste qui palpite au cœur de l’écriture inclusive : l’être humain serait une page blanche – à l’exception de deux ou trois réflexes vulgaires comme la digestion ou la respiration –, uniquement “déterminé à apprendre”. C’est beau, mais c’est faux et comme le résume Steven Pinker, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un ‟rêve de dictateurˮ. »[6]

D’autre part, dire que supprimer le mot « manger » suffirait à faire disparaître la faim est un doux rêve. En quoi retirer « mademoiselle » du système d’écriture pourrait amener plus d’égalité homme/femme.[7] Faut-il qu’un outil ait un effet majeur pour être utile ? Et l’absence d’effet majeur est-ce l’absence d’effets tout court ?

 

Alors qui décide de quoi ?

Au final, ni l’Etat, ni l’Académie Française ne décident de la langue. D’un point de vue sociologique, c’est l’usage qui fait l’utilité de la langue. Il est donc difficile de parler de péril mortel. Si l’utilisation de l’écriture inclusive fait des émules, elle persistera. Non utilisée elle disparaîtra.


Adelphiquement vôtres...


1er Partie – Introduction.

2e Partie – De quoi parle t’on ?

3e Partie – Un brin d’histoire.

4e Partie – Et la science dans tout ça ?

5e Partie – Un péril mortel ?

6e Partie – Pourquoi c’est un important ?

7e Partie – La Franc-Maçonnerie pas en reste.

8e Partie – En pratique comment on fait - Conclusion.





[1] Le féminin le masculin dans la langue écrit sous la direction de Danielle Manesse et Gilles Siouffi p. 36
[2] Ibid p. 118
[3] https://www.bunkerd.fr/ecriture-inclusive/
[4] Le sexe et la langue. Jean Szlamowicz
[5] Déclaration de l’Académie française sur l’écriture dite “inclusive””, Académie Française, 26 oct. 2017
[6] “Êtes-vous prêt·e·s pour l’écriture « inclusive » ?”, Brigitte Axelrad, Science et Pseudo-sciences n°323, janvier/mars 2018
[7] https://www.bunkerd.fr/ecriture-inclusive/










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