Fiche de lecture - La sécu, les vautours et moi - Richard Monvoisin Nicolas Pinsault

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Fiche de Lecture / Critique - La sécu, les vautours et moi : Les enjeux de la protection sociale 

Richard Monvoisin et Nicolas Pinsault

Les voyages forment la jeunesse dit-on. Et bien en ce qui me concerne, les voyages me permettent de lire des ouvrages que je n’ai pas le temps de « déguster » à d’autres moments. « La sécu, les vautours et moi (…) » est l’une de ces friandises que j’ai apprécié goûter d’abord (j’avais lu les première pages juste au moment de sa sortie), grignoter ensuite, pour dévorer goulument ces quelques 270 pages. Loin d’une indigestion, cet essai politiquo-sociéto-philosophique fût pour moi un très beau voyage. Au fil de l’eau, nous parcourons avec légèreté des sujets profonds, tels que la couverture sociale (il fait parfois froid), le parcours de soin, le financement du modèle ou encore la contraception. Les idées affichées sont clairement progressistes, et vont dans le sens du dernier ouvrage critiqué ici. Une mention spéciale pour la forme ; en effet le livre est écrit à la façon d’une discussion entre deux ami.e.s qui prennent l’apéro… ou peut être est-ce le déjeuner…

 

Présentation des Auteurs 
Richard Monvoisin est Docteur en didactique des sciences. Nicolas Pinsault, maître de conférence, kinésithérapeute. Ces deux compères travaillent ensemble depuis des années sur l’éducation, la transmission et le développement de la pensée critique en France. Une caractéristique de leur collaboration est de proposer dans leur ouvrage un point de vue qui me paraît très éclairé, les initiés apprécieront.

 

De quoi ça parle ? De protection sociale  
Mais d’abord c’est quoi la protection sociale ? C’est l’ensemble des dispositifs qui permettent de faire face à des situations à risque. Elle comprend plusieurs branches : L’emploi, la famille, le logement, la pauvreté le handicap, la dépendance, la maladie… Notre système français semble particulièrement intéressant sur le papier. Il est basé sur deux modèles de financement, un genre hybride entre :
  • Le modèle Bismarkien : Les salarié.es sont protégé.es de manière obligatoire si leur salaire est plus bas qu’un certain montant. La protection est fondée sur les principes de l’assurance, la proportionnalité des cotisations et des paies. La protection est générée par les employé.es eux même 
  • Le modèle Beveridgien ou Assistanciel : On retrouve l’universalité de la protection sociale et de tous les risques. Les versements sont basés sur le besoin des individus et non la perte de revenu. L’Etat est en charge de la gestion.

Ainsi, le deux tiers de notre financement provient de nos cotisations sociales de salarié. L’Etat à dû au cours du temps prélever des taxes pour suivre l’évolution de la demande (ou encore la gestion parfois chaotique)

 

Quelques définitions 
J’utilise volontiers des cartes mentales pour organiser mes lectures. J’ai pu découvrir dans ce livre quelques mise au point que j’aimerai exposer ici.
  • Libéral ? Libéralisme ? Un mot peut prendre plusieurs sens. L’intérêt ici et donc de savoir de quoi on parle. Si le premier sens, libéralisme moral ou politique, paraît louable, puisque qu’il promotionne la tolérance des opinions et modes de vie, la liberté de parole, et l’opposition aux régimes autoritaires ; le second sens, libéralisme économique, m’interroge, puisqu’il vend la liberté de marché, le libre échange et la dérégulation.  
  • Capitalisme
    Vendu comme un concept économique, sociologique et politique répondant au triptyque : propriété privé des moyens de production, accumulation sans plafond du capital et libre concurrence aussi appelé libéralisme, voir en sus.  
  • Les prolétaires
    Historiquement, il s’agissait de citoyens romains de plus basse classe dans l’antiquité. Pour Marx et Engels, ce sont celles et ceux qui ne possèdent ni argent, ni moyens de production et qui doivent pour subvenir à leurs besoins avoir recours au travail salarié.  
  • Droite et Gauche
    J’ai appris que ce distinguo provenait de la révolution française et de la répartition dans l’hémicycle de l’assemblée nationale en 1789. Voilà pourquoi cette répartition typiquement française ne se retrouve pas ailleurs. S’en suit une présentation dichotomique des deux tendances et l’on devine aisément où la conviction des auteurs se pose. Pour eux, la gauche prône un progressisme sans les mœurs, le droit pour les faibles et démunis, le droit du sol, la laïcité des instituions, ainsi qu’une grande largesse dans les opinions et les choix moraux. La droite serait respectueuse du pouvoir, conservatrice, défenseure de la patrie et de la famille au sens restreints (hétéro-sexuelle), nostalgique du passé et des grands hommes. Si l’Etat avait deux mains, sa main gauche serait l’éducation, le soin, la prise en charge des catégories les plus vulnérables ; sa main droite serait l’armé, la police et la prison. Même si mon cœur penche à gauche, je dois reconnaître que cette description me paraît quelque peu orientée. Toutefois, je retrouve des similitudes avec certaines obédience, puisque, à l’heure où j’écris ces lignes, j’appartiens au GODF, et que de ce qu’il m’est donné de connaître, je reconnais la les valeurs de ma famille, mais également les valeurs d’autres.

 

Un brin d’histoire Le livre démarre avec un rappel historique sur la création du système de protection sociale français. Le conseil national de la résistance et un certain Stéphane Hessel en sont les précurseurs même si les prémisses d’un tel système sont à rechercher à l’époque de Henri IV. Il convient de rappeler que dans la déclaration des droits de l’homme, le secours public constitue une dette sacrée. Remarque intéressante, tout ceci fût rendu possible car le patronnât avait « fricoté » avec les nazis. Le parti communiste culminait à 28%. Au passage, j’ai appris que l’ordre des médecins avait joué le jeu des nazis sous Vichy en excluant « les médecins juifs (…) ces métèques, ces illégaux (…) néfastes pour les malades »

 

Leçon de sémantique  
La sémantique est quelque chose de primordial (encore plus pour un dyslexique ;-) ). Nous l’avons vu précédemment, au moment du libéralisme, les mots ne prennent pas qu’un sens. (Littéral, allégorique, tropologique (son sens moral) et anagogique (ce vers quoi il faut tendre[1])). Baillargeon parle également d’effet paillasson[2], c’est à dire de glissement sémantique, l’utilisation d’un mot car il est fort en sens, et pourra contraindre le lecteur à supposer un sens différent.

Prenons quelques exemples : « Cotisation » versus « Charge ». Ces deux mots ont le même sens mais pas la même portée symbolique. Un.e petit.e artisan.e, s’iels entend « charge » oubliera qu’il s’agit en réalité de cotisations. La connotation est probablement moins négative, en effet une charge est à fond perdu, une cotisation quelque chose d’apporté à la communauté et qui servira à toutes et tous. Les cotisations donnent des droits, les charges non. Idem avec « travailleuse/travailleur » ayant disparu au profit de salarié.e, mot à la connotation bien plus passive.

 

Les vautours – Est il souhaitable de faire du profit avec la santé des gens  
Alors qui sont ces vautours ? Il s’agit vraisemblablement de toutes ces entreprises privées qui gravitent autour de la santé. Est-ce par pression, par collusion ou encore lobbying que petit à petit, les privés se sont emparés du marché de la santé en France. Cette dernière devient une monnaie d’échange, un moyen de spéculer, ce qui me choque profondément.

Comment expliquer la situation de Mayotte par exemple, désert médical absolu, ou la densité médicale est misérablement basse, où la solidarité nationale semble avoir été oubliée tant ces concitoyens n’ont droit à rien, sous des prétextes aussi solide qu’un château de carte (le cas guyanais).

Comment ne pas s’offusquer de la fuite du corps médical, des chercheurs.es et autres « cerveaux » vers le privé. Après une formation tous frais payés de ceux-ci, il est juste inadmissible qu’iels soient mutatis mutandis récupéré.es par des fonds pharmaceutiques, des fonds d’investissements pour produire des médicaments, vendus à des prix exorbitants.

Un autre exemple concerne les vaccins où l’on apprend que certains laboratoires peu scrupuleux (mais n’est ca pas le but d’un labo au final) décide de fixer un prix à la vaccination de ce que est le moins inacceptable sous-entendu, le plus cher possible. Prix évidemment variant du simple au triple en fonction de qui peut acheter.

Que penser encore d’une mutuelle censée mutualiser au service de ses cotisant.es et non de ses actionnaires. Mutuelles qui au final devraient systématiquement être nommées « complémentaire santé ». N’est ce pas choquant au final qu’elles nous fassent remplir des documents pour savoir si nous sommes « assurables ». N’est ce pas quelque peu éloigné de la mission de base de la solidarité.



Le trou de la sécu au final 

Au final, quel est donc ce trou do[3]nt on nous rabâche les oreilles à longueur de temps (quoique le terme semble quelque peu galvaudé). La faute à qui : aux « assisté.es » du système ? Ou alors aux recettes qui ne se retrouvent pas dans les caisses du fait de l’exil fiscal de certain.es.



Le choix de sa thérapie, de son médecin  

Un passage complet du livre est consacré au choix de sa thérapie, de sa prise en charge, de son médecin. A l’heure où j’écris ces lignes, le cas Vincent Lambert fait débat, est tout ceci m’inspire un futur travail que je développerai sous peu. Une mention spéciale sur la contraception qui m’a appris énormément sur les moyens disponibles. En sachant là encore, que les méthodes les plus fiables ne sont pas forcément les plus remboursées.

 

En guise de conclusion 
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur la portée symbolique de ce livre qui s’inscrit pleinement selon moi dans une démarche maçonnique, progressiste et tolérante. Derrière un légèreté de façade, on retrouvera quelques vœux que certain.es qualifieraient d’utopiste comme une sécu à 100% pour toutes et tous. Mais est-ce vraiment utopiste de tendre vers un accueil absolu et universel, une écoute complète et entière, une prise en charge solidaire et équitable. Le tout ne pourrait se faire qu’avec un Etat plus paternaliste, ce qui ne saurait calmer les critiques qui y verraient une cage proche de la prison et une limitation des libertés individuelles. Toutefois, si on considère que l’Etat est une cage qui nous oppresse, n’oublions pas qu’en dehors il y a les fauves et les vautours. Plutôt que de sortir, ne vaudrait il pas mieux élargir cette cage et rester dedans…

Adelphiquement vôtre.

[1] H. de Lubac, Exégèse médiévale. Les quatre sens de l’Ecriture. Cerf/DDB, 1959, vol. 1, p. 23. La lettre instruit des faits qui se sont déroulés, L’allégorie apprend ce que l’on a à croire, Le sens moral apprend ce que l’on a à faire, L’anagogie apprend ce vers quoi il faut tendre.

[2] Baillargeon, Petit Traité d’autodéfense Intellectuel. Voir également la planche sur les chiens ont soifs.

[3] On retrouvera ici une citation classique du parti des travailleurs brésiliens

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