Fiche de lecture - Les chiens ont soif - Norman Baillargeon
SPOILER ALERT : PROFANE apprenti compagnon maître
Adelphiquement vôtre.
Les chiens ont soif !
Je suis tombé par hasard sur ce livre de Norman Baillargeon, « Les chiens ont soif », édition Lux de 2010. La critique suivante concerne la seconde édition de ce livre.
Ce livre constitue un recueil de textes écrits dans le cadre d’activité militante de l’auteur. Norman Baillargeon est un philosophe, universitaire, essayiste et écrivain canadien. Figure emblématique québécoise, il défend des positions libertaires et anarchistes, et se veut dans la continuité de la pensée de Albert et Chomsky. Il milite également pour la pensée critique et a écrit de nombreux ouvrages dont un petit traité d’auto-défense intellectuelle que je recommande chaudement.
Je ne suis, à titre personnel, pas franchement partisan des discours enflammés et indignés, des champs lexicaux rugueux et des discours anti-libéraux. Force est de constater qu’avec cet essai, j’ai pu passer le voile de ma retenue et lire les thèses défendues par l’auteur avec délectation tant l’écriture est facile et agréable. Si au final je suis loin d’être d’accord avec tout, mon barycentre à quelque peu bougé durant cette lecture, ce qui n’est pas plus mal.
Qu’est ce que j’en retiens ?
La responsabilité des intellectuel.le.s
Un appel à la responsabilité de tous les intellectuel.le.s, qui devraient selon Baillargeon aborder les questions politiques et sociales avec les normes et les valeurs qui prédominent dans leur domaine de compétence. En somme, utiliser leur intellect pour, non pas défendre des théories inintelligibles ou ridicules, mais bien des sujets dont les conséquences sur un grand nombre d’individus seraient majeures. Il milite pour une responsabilité, au sens « devoir ». Comme le disait un certain Benjamin Parker, personnage de fiction de l’univers de Spiderman, « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Cela soulève évidemment chez moi la question de l’engagement en FM. De la difficulté d’osciller entre réflexion versus action et combat ; en un sens, le spéculatif versus l’opératif. Cette question fera l’objet d’un travail plus complet prochainement.
Les média et la propagande d’Etat
Nous retrouvons également une critique acerbe de ce qu’appelle l’auteur le modèle propagandiste des média. Un résumé tronqué pourrait être que les média sont contrôlées par les puissants (les « maîtres » ici, pas les mêmes que chez nous) qui « complotent » ensemble pour maintenir leur influence sur nous et pour vendre un message qui limite notre autonomie et notre liberté. Ce serait évidemment bien trop restrictif tant le cheminement développé par l’auteur est aiguisé et construit. En s’appuyant sur les écrits de Laswell et Chomsky, il développe d’abord les éléments sur-déterminants la production médiatique (taille, dépendance aux publicités et aux autorités, anticommunisme...). Cette organisation offre une apparente liberté dans un cadre en apparence ouvert. Seulement, en réalité, ce système créerai l’autocensure ne permettant à d’aucun.e de se rendre compte qu’il.elle ne maîtrise pas les conditions qui déterminent son devenir. En gros, un apparent sentiment de liberté contrôlé par des forces extérieures dont nous ne pourrions pas comprendre les tenants et aboutissants. Un jeu dans lequel nous sommes soumis à notre insu sans en connaître les règles. En comparant les média, mutatis mutandis (mots mainte fois utilisés par l’auteur, j’aurai appris leur sens par cette lecture), à la linguistique, il donne un moyen de tester ces assertions de manière scientifique. Il propose enfin dans cette première partie des solutions pour s’affranchir de cette propagande : l’éducation bien sûr, en s’appuyant sur l’éducation à la pensée critique ; la consultation de média alternatifs ; l’anarchisme (voir ci-après) pour inventer une nouvelle dimension à la propriété ; et enfin le militantisme, notamment pour stimuler les échanges et s’enrichir... il faudrait lui parler de maçonnerie, cela pourrait lui botter de nous rejoindre, s'il n'est pas déjà de la maison...
Anarchisme et modernité
Il traite également très longuement de l’anarchisme. Et je dois dire que c’est là-dessus que j’ai vraiment beaucoup appris. Déjà concernant la définition. Si officiellement semble t’il, tout du moins dans les dictionnaires classiques évoqués, l’anarchisme est associé au chaos et semble connoté négativement (la palme venant au Larousse avec un « savant mélange d’illuminisme désintéressé et violence aveugle ou brutale »). L’auteur, qui prend clairement position nous apporte un éclairage différent en préférant le sens étymologique « Absence de pouvoir » ou encore une « théorie politique dans laquelle se loge l’anti autoritarisme, c’est à dire le refus conscient et raisonné de toute forme illégitime d’autorité et de pouvoir » (p.81). En filigrane donc, un positionnement libertaire certain : l’anarchisme postule une société sans État, une réunion libre d’être égaux et fraternels. Nous retrouvons ici la triade Liberté Égalité Fraternité, devise du Grand Orient de France, dans le coeurs de chaque Maçon.ne.
La liberté ou voir midi à sa porte.
Cette liberté me questionne car elle constitue l’un des piliers de la FM où tout du moins pour ce que j’en connais, du GODF. Ici, la liberté n’est « pas enfermée dans un cadre fixe et clos mais est appelée à s’élargir lorsque des structures oppressives sont découvertes (Bakounine) ». Justement l’auteur sépare ensuite deux populations distinctes : les libertariens et les libertaires (entendez les anarchistes). En substance, le libertarien considère « qu’une société sans État est possible à condition qu’une telle société soit fondée sur l’extension du mécanisme de marché libre et non entravé à toutes les activités humaines ». La loi étiquetée ici serait la loi du marché qui se présenterai comme ce qui est juste, de même, « les individus auraient un droit naturel sur leur personne, sur les produits de leur travail ainsi que sur les ressources naturelles qu’ils auraient découverte ou transformées ». On retrouve ici le libéralisme économique et politique. Évidemment, la suite du passage sur les libertariens est une belle critique au système : dénonciation des excès en tout genre ainsi que du manque de moralité. A titre d’exemple, la position naturaliste des inégalités (le fait qu’elles préfigurent dans la nature) devrait justifier pour le libertarien leur existence et de fait, présenter une sorte de justification pour eux que les inégalités sont « normales ». De mon point de vue, le fait qu’une chose existe dans la « nature », ne signifie en rien qu’elle soit morale, bien au contraire, si on se comportait comme la nature, nous serions jugé comme des psychopathes tyranniques (Voir Ogien, l'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine). D’autres anecdotes comme les tautologies lorsque le système s’enraye (si ça marche c’est grâce au système, si cela ne marche pas, c’est qu’il n’a pas été appliqué suffisamment convenablement), les brevets pharmaceutiques ou encore la colonisation viennent agrémenter la thèse de l’auteur.
De la violence (ou pas)
Une position que je trouve par contre peu tenable, est l’utilisation et la justification de la violence. Même si l’auteur la condamne à demi-mot, j’ai retrouvé ici un point de désaccord flagrant. Norman Baillargeon semble accepter l’idée « qu’il est des situations où la violence peut se justifier » notamment « lorsque la violence s’exerce pour empêcher une plus grande violence ou que la violence est la seule option possible ». De mon point de vue, rien ne justifie la violence, pas même une violence plus forte. Le risque de l’escalade d’engagement est bien trop grand et c’est aller selon moi dans une direction contraire au principe même de progression de l’humanité. Il cite Sebastien Faure qui, sur les anarchistes, dit « qu’ils sont de tendres affectueux (...) sensibles ». C’est un peu facile de faire passer leur violence pour de la violence saine car venant de personnes se battant pour une vraie cause ; car ils ont un cœur gros et qu’ils combattent la liberté. Quelle liberté au juste ? La juste liberté ? Comment en être sûr ? Je pense que dans la mesure où notre lutte n’est jamais certaine et que parfois (souvent même en ce qui me concerne) nous nous trompons, nous devrions de fait condamner sans aucune limite la violence qui n’est jamais justifiée. L’auteur termine quand même son passage par ces mots « moins la route est bordée de tombeaux, plus sûrement elle conduit à la justice ».
Le nationalisme est un manche
Encore une partie qui m’a questionné et me questionne toujours. Comment définir le nationalisme, notamment dans le cadre maçonnique ? Quelles différences entre patriotisme et nationalisme ? Ce sont des questions que je tiens encore à étudier, ce passage ayant encore plus suscité mon intérêt. « Pour les anti-autoritarisme, l’attachement naturel à sa communauté est à la société ce que le nationalisme est à l’Etat ; si le premier est légitime est naturel, le second est une abstraction mensongère toujours au profit y d’une minorité exploitante ». Ce point de vue se fonde sur un pré-requis supposé que l’Etat est dirigé par des « maîtres exploitants ». Les anarchistes semblent ne pas être attachés à la définition de l’Etat. Je retiendrai une citation de Baillargeon qui m’a fait sourire « Le nationalisme est un manche : Au bout de ce manche il y a un drapeau, à l’autre bout un imbécile qui fait la démonstration de son imbécilité par le simple fait qu’il est disposé à aller mourir pour la plus grande gloire du drapeau ». Je m’interroge, les mots « nationaliste » et « patriote » sont ils devenus la propriété des extrémismes ? Ne pourrait pas aimer son pays sans être taxé de FN ou RN maintenant ? Sous prétexte que ces mots font partie du top 3 de leur champ lexical, doit on/peut on encore les utiliser ?
Les anarchistes et l’éducation
J’ai enfin découvert avec plaisir la vision de l’éducation défendue par les anarchistes, qui semble t’il étaient plutôt en avance sur leur temps. Plutôt contre une éducation d’Etat (toujours pour les mêmes raisons), qui cherche pour les anti-autoritaristes à s’approprier « les cerveaux des enfants ». Baillargeon cite quelques auteurs (Godwin, Sebastien Faure, Bertrand Russel...) avant d’expliquer les piliers de l’éducation vue par les anarchistes. Elle doit être intégrale (toutes les facettes des êtres humains devraient être travaillées), polytechnique (former à plusieurs métiers garantissant liberté et autonomie), rationnelle (la science avant les dogmes cléricaux et Etatiques), émancipatrice et permanente. Ne sommes nous pas ici dans ce que revendique la recherche en éducation et sont versant actuel tourné vers les neuro-science.
Moment bonus - Dans les autres bijoux de ce livre, je citerai le court chapitre Économie Politique des page 165 et 170 qu'il faudra absolument lire
NB - N'a pas été traité ici le chapitre consacré à l'économie participative
Au final, une très belle surprise, une lecture agréable, un ton courtois mais engagé, des références citées (ça fat du bien), bref un auteur que j’adore.
Bonne lecture
Adelphiquement vôtre.
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