Philosophie Morale Expérimentale 3e partie - Intuitions et règles morale, philosophie morale expérimentale

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Les Intuitions et les règles morales 

Il faut noter dès à présent que l’être humain (il n’est pas seul, certains animaux comme les grands singes) semble être animé de deux système de choix moral. 
  • Une système rapide, intuitif, heuristique (système 1 ou intuition morale) 
  • Un système délibératif après coup qui relativise, analyse, plus rationnel (système 2), où nous irons chercher des règles élémentaires comme "devoir implique pouvoir", "il faut traiter des cas similaires de façon similaire" par exemple. 
Plusieurs questions sont soulevées par ces notions d’intuitions morales. Comment fait-on pour les connaître ? Sont-elles les même partout ? Sont elles innées ou apprises, ou les deux ? S’agit-il de réaction émotionnelle ? La philosophie morale expérimentale existe justement pour tenter d’apporter une réponse à ces questions. 


Qu’est ce que la philosophie morale expérimentale 

Reprenons notre exemple, du chien dans le bateau de survie voir ici A quoi sert cette scénette mental ? Quel est sont but ? 

Définition 
Il s’agit d’une expérience de pensée, contenue dans « la dicipline » qu’est la philosophie morale expérimentale. Cette éthique expérimentale a vu son essor au XXI siècle avec un tournant majeur en 2001 suite à la publication de deux articles ayant constitués un véritable tournant [1]

Elle pourrait se définir de cette manière : « Discipline encore en gestation, mélange d’étude scientifique de l’origine des normes morale dans les sociétés humaines et animales et la réflexion sur les valeurs de ces normes sans qu’on sache encore exactement dans quelle direction elle finira par s’orienter et quelle sera la nature de sa contribution à la philosophie » (Ogien) Certains l’appellent « éthique expérimentale » par opposition à « l’éthique empirique »[2]

Donc en somme, il s’agit de construire des cas bizarres ou des situations singulières, en suivant une méthodologie scientifique et ce pour révéler nos intuitions morales. Mais qui donc a eu cette idée farfelue ? Et bien un certain nombre de philosophes ouverts aux disciplines empiriques se sont intéressés aux travaux de sociologie et de psychologie portant sur les jugements spontanés de toute sorte de personnes (un peu partout dans le monde, philosophe et non philosophe, âge, sexe, niveau d’éducation, religion, langue, catégories sociales et culture différente). 


On considère deux types d’expériences : Les expériences de pensées et les expériences sur le comportement (organiser une mise en scène). 


Toutes ces expériences portent sur nos croyances morales, c’est à dire comme je l’ai dit en introduction, sur ce que nous trouvons bien ou mal, désirable ou indésirable, juste ou injuste, que ces croyances soient spontanées ou réfléchies. 


Que sous-tend cette définition ou approche ? 

Les arguments moraux complexes (comme par exemple, est-il morale de sacrifier un animal à la place d’un être humain, même si cet animal à plus de valeur et d’utilités que les êtres humains en question?) ont toujours à peu près la même forme. Ils reposent d’une part sur des intuitions simples, relatives à ce qui est bien ou mal, juste ou injuste ; et d’autre part sur des règles de raisonnement moral qui nous disent comment elles peuvent s’appliquer. Donc deux systèmes de choix moraux : un système rapide, intuitif, heuristique (système 1) et un système délibératif après coup qui relativise, analyse, plus rationnel (système 2) 

Pour de nombreux chercheurs, l’étude de nos intuitions face aux expériences de pensées permettrait de comprendre ce qui, d’un point de vue psychologique, distingue les jugements déontologistes des jugements conséquentialistes, permettant ainsi de comparer leurs fiabilités respectives 


La méthode 

Voici comment est construit une expérience de pensée morale : 
  • On présente à des sujets sélectionnés (critère d’inclusion) de petites fictions qui sont censées susciter leur perplexité morale. Elles sont présentées sous la forme écrite « vignettes » ou racontées par l’expérimentateur. Elle se termine par que feriez vous ? A t’il bien fait ? Que faut il faire ? En générale, les réponses sont dichotomiques, 
  • On recueille la réponse spontanée des personnes, 
  • On demande une justification à ces jugements spontanés, 
  • On classe, on tri les réponses, 
  • On propose des explications à la distribution des réponses, 
  • On essaie de tirer des conclusions plus générales sur la validité des théories morales (conséquentialiste, déontologiste, éthique des vertus.., c’est la phase de l’extrapolation) 

Evidemment, ce type de démarche n’est pas sans biais.[3]


Les critiques 

Les critiques sont vives et à juste titre la démarche est parfaitement critiquable. Si l’on passe le premier mur construit par certains courants philosophiques qui considèrent que les pensées ne sont pas testables et n’ont pas vocation à l’être, il paraît évident que : 

  • Il s’agit de fictions imaginaires, trop simples, trop schématiques et trop courtes ; en opposition aux situations quotidiennes qui sont complexes et riches. 
  • Les réponses aux scènettes sont généralement dichotomiques, méthodologie scientifique oblige. Certains diront que c’est trop restrictif et que l’on ne peut rien en tirer de fait que ça n’est pas si simple. 
  • C’est un travail abstrait, éloigné de la réalité des choses, donc n’apportant pas de contributions pertinentes. 
  • Comme il n’apparaît pas possible d’appliquer une logique scientifique à de la philosophie, les science humaine nous informent sur ce qui est, elles décrivent des faits, la philosophie morale sur ce qui est bien, ce qu’il faut faire. Il s’agirait presque ici du coup de deux concepts non miscible. 

Les points forts 

Pour autant, si elles nous permettent de nous questionner, ne font elle pas déjà le job ? L’objectif n’est il pas au départ de chahuter nos conceptions morales et de vérifier si celles-ci correspondent aux modèles développés par nos éminents contributeurs. On les dit trop éloignés de la réalité, mais la philosophie n’est ce pas aussi cela, pourquoi ne pourrait on pas évaluer les grandes doctrines morales ? 

Il est fort à parier que la société humaine n’est pas la même aujourd’hui que du temps de Aristote. En challengeant les théories les plus irréalistes, cela permet de nous débarrasser des clichés de la nature humaine (il faut peu de chose pour se transformer en monstre ou en sain). Comment ne pas tenir compte aujourd’hui des avancées en neuro-science, neuro-éthique, sociologie 

Malgré l’explosion des nouveaux domaines d’éthiques qui se développent (neuro-éthique, nano-éthique, bio-éthique, ) et qui consiste principalement à appliquer des concepts issus de la philosophie morale classique à des problèmes de notre époque, la tendance depuis ces quinze dernières années semble inverse. Les philosophes et scientifiques vont chercher dans des champs de recherche extérieurs à la philosophie des données et des arguments susceptibles de remettre en cause certaines théories morales pour leur permettre de progresser sur des questions morales traditionnelles.[4]

Au final, ces expériences (pensée ou comportement) servent à évaluer la validité de nos intuitions morales et repenser l’une des questions les plus traditionnelles. Existe t’il un sens moral, universel inné un instinct moral et quelle est sa forme exacte dans nos esprits.[5] 



Je vous propose maintenant de challenger vos intuitions dans la 4e partie



Adelphiquement vôtre.

[1] Haidt Jonathan. (The Emotional Dog and Its Rational Tail: A Social Intuitionist Approach to Moral Judgment, Psychological Review, vol. 108, n° 4, 2001, pp. 814-834) défend les conceptions intuitionnistes et sentimentalistes de la morale alors que Joshua Greene (An fMRI Investigation of Emotional Engagement in Moral Judgment, Science, vol. 293, n° 5537, 2001, pp. 2105-2108) publie la première étude sur les jugement moraux et les IRM Fonctionnel 




[3] Biais méthodologiques (validité interne et externe) et biais epistémologiques (elles sont difficilement réfutables mais pour autant pas décisive étant donné la portée limitée de la philosophie morale expérimentale) 


[4] Cova, Jacquet, Ethique Empirique et expérimentale. Implications philosophiques, avril 2015. http://www.implications-philosophiques.org/actualite/une/ethique-empirique-et-experimentale/ 


[5] La philosophie morale cherche à comprendre le mécanisme de formation dans la tête des gens des idées morales. Elle essaie de savoir si le fait que nos idées morales ont telles ou telles causes ne leur interdit pas d’êtres justes. C’est en ce sens que c’est une recherche philosophique et non sociologique. Ogien - L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine.

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