Le paternalisme - Partie 3 - Le nudge, un paternalisme moderne.

   SPOILER ALERT :   PROFANE    apprenti    compagnon    maître




Suite de la 2e partie



La politique paternaliste étatique est relativement attrayante. Un pouvoir qui prend les bonne décisions pour son peuple, en imposant ses propres valeurs. L’argument faisant mouche étant de protéger les gens d’eux mêmes ou à essayer de faire leur bien sans tenir compte de leurs opinions. Le problème c’est qu’un tel paternalisme pourrait être vu comme trop rugueux et raide. Il est ainsi proposé une variante moderne : « le nudge »


Dans la lignée des sciences comportementales, et suite aux travaux de Daniel Kahneman (prix Nobel d’économie 2002) et Amos Tversky l’économiste Richard Thaler (lui-même prix Nobel en 2017)  et le philosophe et juriste Cass Sunstein forge ce concept en 2003. 


Le nudge, que l’on peut traduire par « donner un coup de pouce » ou « un coup de coude » consiste en une intervention visant à encourager des individus à adopter des comportements bénéfiques pour eux, pour la société ou pour la planète, tout en leur laissant une totale liberté de choix.  Le nudging est donc un outil d’économie dite « comportementale » qui utilise les données neurologiques et psychologiques pour inciter à adopter des comportements plus rationnels. Comme je l’ai évoqué précédemment, la psychologie comportementale des année 2000 a montré que nous étions bourrés de biais. Par exemple, le biais du statut quo sur lequel s’appuie en partie le Nudge. Dévier du choix normal est un acte délibéré, qui nécessite davantage de réflexions, de prise de responsabilités, et est plus susceptible d'entraîner des regrets que le statu quo. Cela demande plus d’énergie.


Pour illustrer le Nudge, voici quelques exemples du quotidien : 

  • Placer une mouche sur les urinoirs pour permettre à ces messieurs de pisser droit,
  • Mettre en option par défaut le noir et blanc, recto verso des photocopieuses,
  • Des pas au sol à côté des ascenseurs pour encourager à prendre les escaliers et le nombre de calories perdues inscrites sur chaque marche…


Thaler et Sunstein préconisent que les États et les organisations se servent de ce principe pour faire évoluer la société et accroître le bien-être social. Cette démarche, aussi appelée paternalisme libertarien, se veut une troisième voie entre le principe libéral du « laisser-faire, laisser-passer » et l’interventionnisme de l’État-Providence. Il respecterait selon leur promoteur l’autonomie et la liberté des personnes et intéresse grandement les politiques de tout bord. Il s’agit d’utiliser les mêmes ficelles que le marketing (renommer sludge, « boue ») mais pour des objets vertueux comme la lutte contre le réchauffement climatique par exemple.


En entendant tout cela, mes premiers instincts me disent que les Nudges paraissent extraordinaires vu qu’ils proposent d’aider à réaliser des choix éclairés. Pour autant, peut-on considérer qu’il s’agit là d’autre chose que du paternalisme autoritaire ou dur ? Je n’en suis pas sûr. 


Les conceptions morales de base me semblent les mêmes. Considérant les adultes avec leur biais, à juste titre comme des enfants, ce paternalisme doux semblent s’imposer notamment aux Etats-Unis ou des cabinets travaillent pour les politiques. 


Les interventions paternalistes seraient ainsi acceptable lorsqu’elle n’imposent rien mais ne font qu’exploiter un biais comportemental pour favoriser un meilleur choix personnel. Cela reste pour moi une sorte de manipulation réalisée à l’insu des agents en partant d’une idée préconçue que telle chose est bien pour tout le monde. 


Et c’est là toute la difficulté : qu’est ce qui est bon pour nous ? Positionner un plat bio au début de file de la cantine exprès pour pousser à la consommation est un Nudge. Sur le papier, c’est bien, seulement voilà, on ne tient pas compte des conceptions initiales que les personnes se font de leur propre bien. C’est tout comme un paternalisme dur.


En outre, les politiques récupérant aujourd’hui le concept de Nudge, sont les mêmes politiques libérales intégrées à l’économie de marché qui hier nous vendaient du coca cola, des smart-phones et de la croissance. Elles se disent maintenant intéressées au bien être des agents. Mieux vaut tard que jamais.


Comment trancher cette question, là encore une piste dans l’éthique minimaliste de Ruwen Ogien militant pour la moral minimaliste qui s’appuie sur trois trépied : 

  • La neutralité à l’égard des conceptions substancielles du bien, avec un Etat devant renoncer à quelques conceptions du bien, un sorte de laicité morale. Chacun ayant le droit de vivre en fonction de sa propre conception du bien tant qu’elle ne cause aucun tort grave et objectif à autrui même si elle choque psychologiquement la majorité car chacun possède ce droit.
  • Egale considération de la voix de chacun : chacun·e doit être libre de choisir sa vie qu’ielle veut mener et qu’ielle est responsable de son choix.
  • L’intervention limitée de l’état aux torts grave causés à autrui. Seuls les torts causés à autrui peuvent justifier une critique morale et l’intervention formelle ou informelle. Ce principe a pu être considéré comme vide par certain·e philosophes car tous les actes pouvaient être considérés de la façon qu’ils causent un torts à autrui.


Le livre de Daniel Kahneman : Thinking fast and slow,

 

Psychologie de la connerie, Marmion


https://podcast.ausha.co/systeme2/episode-1-etre-libre-de-faire-le-bon-choix-a-la-decouverte-du-nudge-avec-eric-singler


https://www.neurocognitivism.fr/wp-content/uploads/2020/10/Article-Nudge-Octobre-2020.pdf


Cass R. Sunstein, Richard H. Thaler, « Libertarian Paternalisme is not an oxymoron », Chicago 

Law Review, 70, 2003, P. 1159-1202


Coons, Michael Weber dir. Paternalisme. Theory and Practice


A suivre...



Le paternalisme : 

Partie 1 : Définition et rappels historiques

Partie 2 : Une Etat paternaliste ?

Partie 3 : Le Nudge ou paternalisme moderne

Partie 4 : Paternalisme et Franc maçonnerie


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