Planche Symbolique d'Apprenti - Le silence

SPOILER ALERT :   profane    APPRENTI    compagnon    maître







Petit essai sur ce symbole qui représente beaucoup pour l’apprenti. A noter d’ailleurs que j’aurai pu nommer cette planche « le silence de l’apprenti » mais que j’ai choisi de garder « le silence ». Probablement car cette reflexion sort du cadre strict du parcours maçonnique.
 
Je suis musicien, mélomane (mes frères me reconnaissent comme tel), drogué de sons et intolérant aux bruits. 

Le silence m’inspire l’absence de sons, mais est-il possible d’avoir une absence de bruits. Les bruits internes du corps ne s’arrêtent-ils donc jamais ? Le tintamarre cardiaque qui me rappelle une fanfare, les grincements articulaires comme crissement de pneus, l’aller et venu respiratoire tel une vague de Méditerranée, le chuintement discret des mouvements, les gargouillis d’un ventre qui s’exprime dans sa boîte, les bruits de bouche, les frottements des tissus qui nous recouvrent... Impossible de trouver le silence dans ces conditions. Il faudrait être sourd et encore, ne resterait il pas un bruit blanc. Il faudrait être mort alors ? Je suis mort une fois pour renaître plus loin, derrière les portes du temple, et les bruits sont toujours là.


Alors le silence, est-ce ôter les sons pour s’écouter soi-même ?  

Encore cette maudite introspection. Je vais finir par croire que dans tous les symboles, on peut tirer la couverture à ce concept, cette idée. En supprimant mes sons, je laisse transparaître mes bruits. Ils sont automatiques, incontrôlables, immuables puisque nécessaires à mes pensées, à mon esprit et à mes mouvements. Je ne peux pas les arrêter, tout juste puis-je les moduler. Calmer ma respiration, bloquer mes mouvements et gérer mes ardeurs. Il s’agit donc de tempérer mes émotions. Le silence sert déjà à ça.


Le silence est une discipline. 

Il faut parfois savoir se taire, pour voir émerger un être nouveaux. La méditation Vipassana l’a semble t’il montré, 10 jours de silence et vous êtes un être neuf. Bon, avec quelques travaux annexes évidemment. Je comprends qu’il est difficile de se questionner, de se changer si on ne prend pas le temps de se taire. J’aime le pseudo-silence, l’absence de bruits externes, comme au moment où j’écris ces lignes. Ce silence me permet de penser ce que je n’arrive pas à faire lorsque autour de moi il y a du brouhaha, de l’animation. Se concentrer sur le moment présent pour tenter d’atteindre la quintessence de nous-même. En y réfléchissant, je peux aussi me concentrer sur un son qui se répète, un leitmotiv, un bruit de pluie qui frappe sur une vitre, un bruit de train qui circule, un bruit de forêt au crépuscule, un bruit de vent dans les arbres, un bruit de neige...


Au final, je pourrais tout aussi bien me concentrer sur un brouhaha généralisé. 

Un sportif par exemple, n’entend pas les applaudissements au moment décisif. Le footballeur qui cadre, est probablement sourd au moment où il arme son tir. Tout comme le pianiste est seul quand il lâche la note finale de son œuvre. Le parent qui est focalisé sur son enfant n’est pas gêné par un lieu bruyant dans son focus. Je pense ainsi qu’on peut prendre chaque bout du quotidien et le transformer en petit silence. En moment à soi, pour se concentrer et produire son oeuvre. Il ne tient qu'à nous de le construire, de le trouver.


Se taire, au delà de soi, c’est aussi important pour l’autre. 

Ce que m’aura appris la maçonnerie, c’est que le silence n’est pas une punition mais plutôt un cadeau. C’est une main tendue vers l’autre. C’est un respect d’autrui dans ce qu’il dit, verbalement et non verbalement. Je ne connais pas d’autre lieu où la parole soit aussi libre, puisque jamais sanctionnée par une interruption. Au passage cette possibilité impose un devoir d’efficacité et d’humilité. Quand on vous respecte au point de ne jamais vous interrompre, vous tournez trois fois la langue dans votre bouche avant de vous exprimer. Par ce silence, l’apprenti maçon que j’étais n’avait pas compris au départ la chance qu’il avait. J’étais frustré de ne pouvoir rebondir, je pensais avoir compris les grands principes du rituel mais au fur et mesure du temps, je me suis rendu compte que je n’y était pas du tout. A la manière d’un myope qui mettrait des lunettes de plus en plus correctrices, je me suis rendu compte petit à petit de ma méconnaissance, de mon insolence peut être.


En restant silencieux, je me focalise sur mes autres sens.

 
La vision, pour admirer les symboles et autres décors en loge. Mon regard vagabonde durant les échanges, tente de saisir les regards des un.e.s, expressions des autres. La plupart sont impassibles, absorbé.e.s, concentré.e.s. Les émotions semblent contenues, maîtrisées, compressées. Elles sont là, j’en suis sûr, mais rien ne semble s’échapper. De temps à autre bien sûr, une expression apparaît sur le visage à la manière d’une fumerole qui s’élève au ciel. Avec la légèreté et la discrétion d’un nuage de fumée qui s’évapore.
 
Le toucher, dans les moments de prise de contact avec un frère ou une sœur, lors de la chaine d’union. Ce moment fort qui rappelle qu’on est pas seul. Mais pas seulement. Le silence comme l’égrégore sont impalpables. Pour autant, on se sent plongé entier dans ce miasme immatériel. Le silence peut toucher comme le contact physique, à la manière d’un corps plongé dans l’eau. Un corps entouré d’une gangue invisible mais présente. Une double peau discrète, perceptible seulement au moment où nos sens sont affutés.
 
Pour l’odorat, c’est la fragrance laissée au passage d’un frère ou d’une sœur derrière le maître des cérémonies. C’est le doux souvenir du feu qui s’éteint. C’est le bois, c’est le fer. C’est la lumière et ses poussières, c’est la cire, les tissus.
 
Le goût pour clore, au cours des agapes bien sûr. Un met changera en fonction de quand et avec qui il est consommé. Un verre de vin n’aura t’il pas meilleure saveur s’il est dégusté entre amis ?


Le silence absolu fait peur. 

Tel des enfants, il peut nous apparaître comme une punition, comme un cauchemar. Certain.e.s le vivent comme un malaise : il faudra s’occuper l’esprit pour meubler. Deux êtres dans une pièce, une salle d’attente ou autre, devront faire quelque chose pour survivre au silence. Discuter ? Lire ? Sortir son mobile ? Comment réussir à se maintenir au calme absolu, sans distraction, sans envie, serein. En situation de stress, le silence contraint peut rendre fou. L’absence de communication tout comme l’isolement social laisse des séquelles irréversibles au système nerveux.


On peut aussi utiliser le silence pour communiquer.

Rester silencieux, c’est marquer son désaccord ou son approbation. C’est respecter la peine des uns, le bonheur des autres. Au delà des phrases, le vide laissé entre les mots sont autant d’informations, de messages que les mots eux-mêmes. Nous gardons le silence durant une cérémonie comme un mariage ou des funérailles. C’est un droit et parfois un devoir, un engagement. Un garde-fou, une protection.


Être contraint au silence en tenue, c’est aussi l’assurance de ne pas devoir rebondir.  

Plus besoin de préparer ses arguments et d’être tendu jusqu’à prendre la parole, de peur d’oublier ce que j’avais à dire. Je peux me concentrer sur l’autre. Sur le sens de ce qu’il énonce. Sur le caché, et le visible. Je peux observer la conduite de mes compagnons de route qui me semblent bien plus sages que moi. Pas parfait non, mais posés, entiers, clairs et concis.

Tout ceci me laisse sans voix.


Adelphiquement...

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Planche symbolique de Compagnon - Impression d'augmentation

Planche symbolique de Compagnon - 2d voyage – Parlons d'architecture

Planche symbolique d’Apprenti - Le Fil à Plomb