Fiche de lecture / Critique : Le sexe et la langue

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Fiche de lecture - Le sexe et la langue.  
Jean Szlamowicz
Dans le cadre d’un travail que j’effectue depuis quelques mois autour du questionnement de l’écriture inclusive (EI) et de son éventuelle place en maçonnerie, j’ai l’occasion de lire quelques écrits en rapport avec ce domaine. J’ai décidé de compiler ici quelques pensées qui m’ont traversé à la lecture de cet ouvrage écrit par Jean Szlamowicz qui a suscité perplexité, émotions et parfois incompréhension. Un ouvrage très engagé et exigeant assez loin de mes convictions.  

Un mot sur l’auteur  
Jean Szlamowicz est normalien et professeur des universités. Spécialiste de linguistique, il s'intéresse à l'analyse du discours, à l'oral, à la sémantique. Il est également traducteur littéraire. Il a à son actif articles et livres.

 
La thèse défendu en guise d’introduction.  
L’écriture inclusive (EI) est considérée en introduction comme « dernier avatar du manichéisme militant et comme outil idéologique masqué par une juste posture humaniste (…) Originaire d’idéologues spécialistes du marketing produisant des formulations ouvertement inspirées par une Novlangue[1] à la philanthropie toute bureaucratique (p11) ». Le message est limpide, l’auteur de portera pas l’écriture inclusive dans son cœur. Le rapprochement avec l’œuvre d’Orwell 1984 est réalisé dès la première page, seulement là où je ne rejoins pas l’auteur c’est que dans l’œuvre éponyme, la novlangue a pour objectif de limiter la pensée et supprimer les crimes de pensées donc d’appauvrir. Il me semble qu’ici, le souhait des promoteurs de l’EI, serait plutôt d’enrichir en engageant plus de présence féminine. S’en suit un raisonnement que je qualifierai de douteux dans lequel l’auteur semble postuler que se battre pour l’EI ne rendra pas les rues plus sûres. 

Ce n’est pas parce que l’on s’occupe d’une question ayant moins d’impact (et encore ça reste à prouver) qu’il faut l’abandonner. Un outil n’a pas besoin d’avoir un intérêt majeur pour être utilisé. Il serait une absurdité de croire qu’en ajoutant des « e » à la fin des mots, la condition féminine s’améliorera. Il ira même plus loin en écrivant textuellement « qu’il semble nécessaire de remettre à leur place ces militants auto satisfaits qui cherchent à imposer leurs raccourcis intellectuels à toute la société » (p18). Il pose la question de savoir en quoi le marquage de la féminité dans un discours générique aide-t-il la condition féminine. Il y a une confusion entre visibilité et statut social. En somme c’est sur d’autre terrain qu’il faudrait travailler selon lui.

 
Écriture inclusive 
D’où vient t’elle ? Sa naissance est vue ici comme un opération de communication politique partisane et non de l’émergence spontanée d’un intérêt pour la question de grammaire. Le terme inclusif suggère qu’il existe une exclusion. Pour le Manuel d’écriture Inclusive [2] (MEI) la langue serait sexiste ce qui aurait une influence psycho-sociale (p14). L’écriture inclusive s’attaque à la langue plutôt qu’au discours. Le MEI propose l’utilisation dans les énumérations d’un équilibre, de renoncer au masculin générique et à la primauté du masculin sur le féminin dans les accords en genre. 

La langue doit donc signaler une égalité sexuelle des genres même quand elle n’existe pas. L’auteur n’y va pas de main morte : Il s’agit d’une bande de militants de la bien pensance qui pense qu’on pourrait atteindre un niveau de moralité supérieur si l’on modifiait sa façon de parler. Le manuel de l’EI étant leur livre rouge (p97)
 
La thèse inclusive en miroir 
L’auteur prend un malin plaisir à retourner le raisonnement en disant que le masculin serait une banalité par défaut, une sorte de « non personne », tandis que le féminin signale plutôt une personne spécifique et singulière. Le masculin comme marquage par défaut n’est donc rien de dominateur, il est banal, quelconque alors que le féminin semble exclusif (p18). En outre, la revendication selon laquelle le masculin générique serait une injustice ne tient pas face à l’existence des formes impersonnelles : il pleut, il mouille, (p.61). Ce n’est pas que l’homme est partout, c’est qu’il n’est nulle part en particulier (p.67). Le féminin est spécifiant, le masculin généralisant. Quand le masculin existe, il peut être neutre alors que le féminin ne peut s’appliquer aux hommes. La personne générique n’est ni homme ni femme, elle est une non personne (p68). Dans l’écrasante majorité des langues, quand le masculin et le féminin existent, le neutre est masculin. Ce qui est banal relève du masculin, ce qui est exceptionnel relève du féminin.  
La langue ne repose pas sur la visibilisation de quoi que ce soit. Elle n’est pas un objet manufacturé avec un interrupteur institutionnel pour viabiliser les femmes, les hommes (p56). Le pluriel inclus tout le monde (p. 56), il permet de ne pas opérer de dissociations, là ou il y a pluriel, il y a inclusion (p. 60).
 
Langue et pensée ? Orwell avait-il vu juste ? 
La langue détermine elle notre pensée ? L’une des thèses abordée par les défenseurs de l’écriture inclusive est que l’utilisation de mots conditionnerait notre façon de penser. L’auteur décortique dans cette partie les rapports qu’’entretiennent pensées et paroles.  
Penser c’est mettre en forme langagière des contenus affectifs, perceptifs et intellectuels. L’auteur distingue trois formes : « penser » qui est la réflexion, « penser à » qui est l’évocation et « penser que » qui est l’opinion. (p 23) La langue nous permet donc de donner une forme à notre pensée. Elle est le cadre même dans lequel nous vivons. Pour autant l’utilisation de mots se fait en général de manière automatique sans engendrer des décisions relevant de la rationalité ni de l’adhésion morale ou représentationnelle. L’influence de la langue sur la pensée est souvent beaucoup trop vaguement formulée. La langue ne dit rien, c’est son usage qui produit une pensée.
 
Une histoire de grammaire 
La grammaire elle aussi ne dicte rien de précis quant aux rapports homme/femme. Si la doctrine de la langue était vraie tout serait déjà écrit et on déchiffrerait les rapports sociaux dans le système grammatical. La fonction du genre dans la langue française sert plus à l’organisation qu’à décrire la réalité (p. 37) Le militantisme de l’égalité des genres a donc pour effet de démotiver ce qui est devenu arbitraire en faisant semblant de croire à la pertinence sexuelle d’éléments sans importance (p.39) Le genre dépend également de la langue. La mort est féminine en français et masculine en Allemagne. Le lien entre grammaire et société n’a jamais été démontré.  
Il évoque enfin les théories comme l’hypothèse Sapir-Whorf [3]« la réalité est dans une large mesure construite à partir des habitudes langagières du groupe ». Cette hypothèse a été largement critiquée. Le déterminisme linguistique également : notre univers serait limité par les structures de notre langue, laquelle déterminerait ce que nous pouvons penser. Cette hypothèse est critiquable.  
Il présente le parallèle avec l’anglais par exemple qui ne genre pas pareil ses noms de métiers, s’il y avait une influence du mots sur le métier, on trouverait probablement une différence dans la disposition par métier ce qui n’est pas le cas. Le sexisme est dans les lois, les comportements, les droits et les devoirs implicites, les relations de pouvoir, pas dans l’accord des adjectifs (p. 30)
 
Les représentations 
Les représentations sont utilisées comme arguments pour justifier l’utilisation de l’écriture inclusive ou de la féminisation des noms de métiers. [4][5] Dans les études, il semble que la lecture d’un terme masculin inclusif ne déclenche par la visibilisation féminine. L’auteur semble encore une fois quelque peu remonté contre ces expériences. Les chercheurs en psycholinguistique conviennent volontiers qu’il est toujours plus difficile d’apporter des preuves empiriques pour l’absence d’une différence que pour l’existence d’une telle différence dans le traitement du genre. Lorsqu’on pose des questions aux sondés, il s’agit de productions verbales spontanées. En somme, un langage repose sur deux processus : procédurale donc automatique, et discursif déclaratif donc plus lent (p35). Ce n’est pas parce qu’on partage la même langue qu’on a la même vision du monde (p.44)
 
Le réel, les mots et l’oubli 
Il cite Pierre Cadiot (p.40) qui explique que le mot a un sens interne (son étymologie, d’où il vient ex : du mot boucher qui vient de bouc) et un aspect externe, sa réalité historique au moment où on l’utilise. Si on se mettait à reformer les mots sous prétexte que leur étymologie ne correspond plus à la réalité pratique, tous les mots de la langue risqueraient d’êtres concernés. Le féminisme tend à vouloir une modification seulement des mots qui arrangent les partisans (p.41). De plus, l’absence d’un mot n’a jamais empêché sa réalité d’exister. Le mot frileux n’existe pas en anglais pourtant ils ont parfois froids.
 
Le genre et la personne dans la langue 
Quand on parle de personne en linguistique, cela renvoie à trois dimensions de nature distincte : 
- une catégorie énonciative : inscription de la subjectivité dans l’échange 
- Un catégorie morphosyntaxique : pronom, marque de conjugaison, genre cas 
- Une catégorie sémantico-référentielle : un contenu de sens et désigner individu  
La personne c’est donc potentiellement une relation ou une forme ou un individu extra linguistique (p48). Le militant de l’écriture inclusive confond la forme et le référent

Une chaise et un tabouret ? 
Concernant le genre des mots, je rejoins assez l’auteur dans ses explications. Le genre des mots n’est qu’une variable parmi d’autres et il n’a certainement pas une valeur morale, mais grammaticale (p.49). Toute les langues catégorisent d’une manière ou d’une autre ce qui signifie qu’il semble exister une nécessité cognitive à ne pas mettre tous les mots sur le même plan. « Le » livre n’est pas plus mâle que « la » page est femelle. Ce qu’il appelle le néo-féminisme fait comme si l’on devait confondre la marque et la chose (p.51). La catégorisation grammaticale ne dit pas la vérité ontologique ou phénoménologique du monde même si elle paraît s’appuyer sur les propriétés objectives des objets. Preuve en est, les langues ne découpent pas le réel de la même manière (p.51). Le sens des mots est déterminé par le système, pas par la nature. Pour l’auteur, les choix et transformations grammaticales sont la conséquence du hasard et du bon vouloir de l’activité de la langue. Le sexe n’y a aucune part. Le mot est une forme dont l’énonciation déclenche le sens et ce contenu de sens se configure différemment selon le contexte (p.54)
 
Et le sens alors ? 
L’axiologie c’est la valeur d’un mot. L’axiologie intrinsèque peut être négative comme positive (hypocrite versus intelligent). La plupart du temps neutre elle peuvent devenir négatif dans la bouche d’un adversaire : « banquier » « juif » « fonctionnaire ».
 
La question de la féminisation de titre 
La féminisation des métiers constitue en revanche un véritable question linguistique pas sur le plan de l’égalitarisme mais plutôt de la clarté discursive. Si le sujet est sensible c’est probablement pour des raisons socio-symboliques, pas pour des raisons grammaticales car personne n’a jamais eu du mal à savoir si c’est un homme ou une femme qui tient la fonction énoncée.  
Selon l’auteur, les militants choisissent toujours les mêmes métiers pour défendre leur thèse, qu’ils présentent comme des injustices (p84)? Certaines fonctions ayant historiquement été réalisées par l’homme ou la femme il est normal de voir apparaître cette différence non.  
Il propose ensuite l’argument de l’usage pour expliquer la conservation de certains titres. S’ils sont conservés c’est qu’ils sont bien pratiques. Quand un mot paraît être un néologisme et que sa dérivation pose trop de problèmes, il n’est pas adopté. Le facteur bloquant la plupart des cas de féminisation c’est la convergence de facteurs morphologiques, de doublons, d’absence de traditions professionnelles et l’existence du masculin générique (p.82). L’auteur explique que les genres sont en réalité des catégories grammaticales qui rendent le discours plus clair et qui harmonisent le discours.
 
Au final 
L’auteur critique de manière soutenue la posture militante. Les média comme support de sociétés de communications au service des politiques. L’éducation nationale massivement acquise en socle de diffusion par ses chercheurs qui bavardent sur le genre.  
Les procédés utilisés sont toujours les mêmes : prendre les mots péjoratifs féminins qui n’ont pas de masculins et prendre les mots d’améliorations envers les hommes pour montrer leur absences au féminin (p.92). On parle de conglobation (donner beaucoup d’exemples tous tirés par les cheveux, donnant malgré tout l’impression qu’il y a là le socle d’un raisonnement solide).  
Selon l’auteur, pour vendre l’écriture inclusive, il suffit de se présenter d’abord comme une victime, dénoncer son statut de victime dans la langue et ensuite prétendre réformer. Ainsi il voit cela comme un coup politique. En rhétorique on parle d’une stratégie basée sur l’Ethos l’orateur affichant son statut comme vertueux dépeignant l’adversaire comme immoral.  
Seulement pour moi, il fait ce qu’il dénonce : Il utilise des points Godwin à tour de bras et des hommes (je jure…) de paille en permanence. Médisant et irrespectueux, ce livre n’en demeure pas moins une lecture indispensable pour se forger une approche éclairée sur la question.

Citations choisies

Les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires. George Orwell
 
On trouve donc ainsi au cœur du militantisme de l’écriture inclusive une naïveté créationniste qui va a rebours de toutes nos connaissances sur le langage, les langues, la culture et l’histoire. (p.114)  
La langue est l’outil de la pensée, il n’en est pas le contenu (p.45)  
Toucher à la langue, c’est vouloir contrôler les pensées. Avec toutes les meilleures intentions du monde, cela s’appelle tout de même de l’endoctrinement. (p.104)  
C’est donc une tradition épistémologique de méthodologie critique qui s’effondre face à la furie de l’idéologie toute puissante, arc boutée sur la morale et l’imprécation comme mode d’argumentation (p.107)

Note

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Novlangue


[2] https://www.univ-tlse3.fr/medias/fichier/manuel-decriture_1482308453426-pdf


[3] En linguistique et en anthropologie, l’hypothèse de Sapir-Whorf (HSW) soutient que les représentations mentales dépendent des catégories linguistiques, autrement dit que la façon dont on perçoit le monde dépend du langage. Bien que rejetée dans sa version radicale, la thèse de Sapir-Whorf a toutefois rencontré un regain d'intérêt à la fin du XXe siècle dans le cadre des travaux expérimentaux montrant que le langage pouvait bel et bien avoir un effet, parfois faible mais néanmoins mesurable, sur la perception et la représentation de l'espace, du temps, des émotions. (Wikipédia)


[4] Differential Sensitivity to the Gender of a Person by English and Chinese Speakers. https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10936-010-9164-9


[5] https://cortecs.org/materiel/un-ministre-peut-il-tomber-enceinte-de-masculiniser-la-langue-francaise-entrevue-avec-pascal-gygax/

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